Lettre d’un homme d’affaire à son fils pour rester humble

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Lettre d’un homme d’affaire à son fils
pour rester humble

De John Graham, succursale londonienne de Graham et Cie., à son fils, Pierrepont, Union Stock Yards, Chicago. M. Pierrepont a écrit son père que ça se passait à merveille à son nouveau poste.

LONDRES, – du 24 octobre,

Cher Pierrepont : Enfin, je suis en route pour la maison, fortifié et caracolant comme un cheval de cirque moucheté. Ces Néerlandais, après tout, ne sont pas aussi mauvais que la langue qu’ils parlent, parce qu’ils ont soigné mon rhumatisme de sorte que maintenant je peux m’appuyer sur ma jambe droite sans craindre de la casser.

Je suis heureux d’apprendre que tu te débrouilles si bien à ton nouveau poste et j’espère que lorsque je serai de retour à la maison ton supérieur corroborera toutes les bonnes choses que tu dis à ton sujet.

À l’avenir, cependant, il ne sera pas nécessaire que tu me tiennes au courant de cet aspect des choses. La plupart des hommes sont parfaitement francs sur ce sujet, et c’est peut-être le seul où il n’est pas nécessaire de l’être. De toute façon, on ne peut pas cacher ses qualités – elles seront nécessairement découvertes, tôt ou tard.

Bien sûr, tu dois avoir l’œil constamment ouvert pour voir un homme de qualité, mais suis l’exemple de la vieille servante – cherche-le sous le lit et dans l’armoire, pas dans le miroir.

L’homme qui accomplit de grandes choses est trop occupé pour parler d’elles. Si tes mâchoires ont vraiment besoin d’exercice, mâche la gomme.

Certains hommes traversent la vie selon la théorie de Sarsaparilla – ils doivent débiter une centaine de discours pour chaque dollar qu’ils prennent ; et c’est une théorie valable quand tu obtiens 10 dollars pour des ingrédients d’une valeur de 1 dollar.

Mais un homme qui donne un dollar de soi-même pour 99 cents n’a pas besoin d’ajouter des explications.

Naturellement, tu croiseras des gars sur ta route qui te feront bonne impression pendant un moment, parce qu’ils disent d’eux-mêmes qu’ils sont bons ; comme tous ces billets de 50 dollars en circulation qui sont acceptés à vue d’oeil jusqu’à ce qu’ils parviennent au guichet de la banque.

Et tu verras ces hommes prendre un busard et prétendre que c’est un aigle et ils duperont leur monde aussi longtemps qu’il restera en l’air ; mais tôt ou tard il foncera sur le cadavre de leur cheval, et tu sentiras l’odeur du busard.

L’air chaud peut faire voler longtemps un ballon, mais il ne peut pas le fixer là-haut. Et quand un gars se balance dans les nuages, il est naturel que les paysans, en bas, le regardent bouche bée.

Mais à la fin, le moment où le parachute atterrit arrive toujours. Je ne connais rien d’aussi mortel qu’une chute de 3 ou 4.000 pieds du bord d’un nuage.

Si tu vois monter en altitude, il vaut mieux escalader une montagne. On ne monte pas si vite, mais on n’en descend pas si abruptement.

Même là, on risque de glisser et de tomber dans une crevasse, mais seulement si l’on est assez idiot pour prendre des raccourcis glissants ; quoique, il faut bien le dire, certains arrivent à se casser le cou en tombant du haut d’un escalier.

Sois humble au sommet

Le chemin pour arriver au sommet n’est pas celui qui est le plus court mais celui qui est le plus sûr.

La vie n’est pas un effort ponctuel, mais une ascension longue et régulière. Tu ne peux pas courir vite vers le sommet sans t’arrêter pour te reposer de temps en temps.

Quelques hommes effectuent le travail d’un jour et puis passent les 6 autres à l’admirer et à paresser. Ils se précipitent sur une chose en poussant un “hourrah !” et ils épuisent toute leur énergie dans ce seul effort.

Et quand ils se sont bien reposés et qu’ils l’ont récupérée, ils en poussent un autre et repartent dans une nouvelle direction. Ils confondent l’intention avec la détermination, et après avoir annoncé ce qu’ils comptent faire et après s’y être préparés, ils en restent là.

On dit tout le temps que les poules sont bêtes, mais pour ce qui est de la vraie, franche bêtise, parlons plutôt du coq. Il est toujours en train de se pavaner, d’étirer le coup et de chanter et de se vanter partout de choses qui ne le concernent pas du tout.

Quand le soleil se lève, il fait tant de boucan qu’on croirait que c’est lui qui l’a allumé ; quand la fermière jette les restes de nourriture dans la cour de la ferme, il s’égosille comme s’il était le fournisseur de toute la ferme et qu’il bénissait le repas ; quand il rencontre d’autres coqs, il chante ; et quand l’autre coq lui donne un coup de bec, il chante ; et ainsi, toute la journée. Il se réveille même la nuit et chante un peu, juste par principe.

Mais quand une poule se fait entendre, elle a déjà pondu un oeuf, et en plus elle n’en fait pas toute une histoire.

Un travail intéressant

Si je mentionne ces choses, c’est parce que je veux que tu gardes tout le temps à l’esprit que rien ne peut remplacer le travail régulier, discret, persévérant, simple et aussi, parce que ta demande de trouver un travail à Courtland Warrington amène naturellement ce sujet.

Tu écris que Court dit qu’un homme ayant occupé sa position dans le monde ne peut certainement pas condescendre à faire n’importe quel petit boulot insignifiant et indigne.

Je souhaite tout de suite te dire que je connais Court et ceux de son espèce comme ma poche, et qu’il ne nous serait d’aucune utilité. Il est l’un de ces gars qui commencent au sommet puis glissent naturellement vers le bas parce que c’est là qu’est leur place.

Quand il a quitté l’école, son père lui a donné des parts dans son entreprise, mais comme le vieil homme a fait faillite il y a 3 ans et a du se trouver lui-même un emploi, Court vivait à ses crochets en attendant qu’un travail intéressant et digne de lui tombe du ciel et l’enlève. Mais nous ne faisons pas dans le business de kidnapping.

Le seul travail indigne que je connaisse est de flemmarder, et rien ne peut dévaloriser un homme qui vit aux crochets d’un autre au lieu de chercher n’importe quel travail, parce qu’il n’a déjà pas de valeur.

Je n’ai jamais réussi à comprendre ce genre d’individus qui répriment tout instinct décent afin de se donner une apparence, et qui auront recours à toute sorte de vilenie et de bassesse pour nourrir leur fausse fierté.

Ils me rappellent toujours le petit Dodu Wilkins, qui a aménagé dans notre ville au Missouri quand j’étais enfant. Sa mère tenait Dodu en haute estime, et Dodu avait une excellente opinion aussi de lui-même, ou de son ventre, ce qui revenait au même.

On aurait dit qu’il sortait tout droit d’une bande dessinée comique. C’était un goinfre. Il se gavait jusqu’à ce que sa peau soit aussi tendue que celle des saucisses, et alors il hurlait en demandant un remède parce qu’il avait mal au ventre.

Il dépensait tout son argent de poche en gâteaux, parce que les bonbons ne le remplissaient pas assez. Il les engloutissait dans le magasin, parce qu’il craignait de devoir en donner un morceau à quelqu’un s’il les mangeait dans la rue.

Les autres garçons n’aimaient pas beaucoup Dodu, et ils ne se gênaient pas de le lui montrer en sa présence. À l’entendre, lui, il était un garçon extrêmement courageux et fort ; mais il se débrouillait toujours pour fuir toute situation qui pouvait ressembler à une bagarre en invoquant une blessure à la main ou les oreillons.

En réalité, il avait peur de tout sauf de la nourriture, et c’était ce qui lui faisait le plus de mal. C’est très rare qu’on ait peur de ce dont on devrait avoir peur dans la vie.

Bien sûr, comme la plupart des lâches, Dodu avait toujours une excuse de ne pas faire quelque chose qui pourrait lui égratigner la peau, mais il osait faire tout ce qui pouvait l’abaisser, de crainte que s’il refusait, les garçons se moquent de lui, ou qu’il disent qu’il n’est qu’un trouillard.

Ainsi un jour pendant la récréation Jim Hicks l’a mis au défi de manger une crotte. Dodu a hésité un peu, parce que tout en étant très permissif quant à ce qu’il mettait dans son ventre, il n’avait jamais inclus ce genre de saleté dans son menu.

Mais quand les garçons ont commencé à dire qu’il était une chochotte, Dodu se décida et l’avala.

Et quand il défia les autres garçons de faire la même chose et qu’aucun d’eux ne voulut relever le défi, il en conçut un orgueil immense. Il se mit à demander 10 cents aux garçons plus grands et aux badauds du coin de la rue pour qu’ils le voient manger un morceau de crotte de la taille d’une noix du hickory. Il lui parut qu’il pouvait se faire une somme rondelette là-dedans, et il ajouta à sa prestation principale des sauterelles, à 200 la pièce.

La demande ayant été si grande, il se mit aux punaises de chinchilla pour un nickel, et se fit un joli magot. La dernière fois que j’ai entendu parler de Dodu, il officiait dans une salle de spectacle cumulant 2 emplois – l’un en tant que “le Gros homme,” et l’autre en tant que “Le Lance-pierre, Le Mangeur des sauterelles, le Seul Homme Vivant avec un Gésier.”

Tu rencontreras plein de Dodus, tôt ou tard, des gars qui mangeront des saletés et supporteront des quolibets “pour amuser” la galerie ou pour se faire remarquer, et qui en rajouteront plus parce qu’ils y trouveront des opportunités et de l’argent facile.

Il est difficile de faire entendre raison à ces individus parce que quand bien même ils ont perdu tout ce dont ils auraient pu être fiers, ils gardent encore leur fierté. Tu peux être sûr que chaque fois qu’un gars est susceptible, sa prétendue fierté cache des faiblesses.

La fierté d’un homme

L’expérience m’a appris que la fierté est en général un stimulant pour les forts et une entrave pour les faibles. Elle pousse l’homme fort et freine le faible.

La fierté d’un homme fort et déterminé fait qu’il sourit du rire et rit de la raillerie des autres ; elle maintient sa conscience droite et son dos courbé à la tâche ; elle lui fait apprécier les petites choses et lutter pour les grandes.

Mais celle d’un homme pusillanime lui fait faire ce qui semble bien, au lieu de ce qui est bien ; elle lui fait craindre le rire et fuir la raillerie ; elle le fait vivre aujourd’hui sur le salaire de demain ; elle lui rapporte des petits extras, sans lui donner assez d’énergie pour s’affirmer et créer sa chance.

Je ne vois jamais un de ces gars bouffi d’orgueil de petit voleur sans me souvenir d’un petit incident de mon enfance. Un vieil homme m’avait surpris, un après-midi, en train de lui chaparder une pastèque dans son jardin, et au lieu de me donner une raclée et de me laisser partir, comme je m’y attendais si je me faisais prendre, il me ramena chez ma mère en me tirant par l’oreille, et lui raconta ce que j’avais fait.

Ta grand-mère avait été élevée à l’ancienne, et elle n’avait pas entendu parler de ces théories modernes qui préconisent de raisonner gentiment un enfant jusqu’à ce que sa lèvre inférieure se mette à trembloter et ses yeux à se remplir de larmes lorsqu’il réalise sa faute.

Elle a essuyé mes larmes en effet, mais avec une ceinture ou une pantoufle. Et ta grand-mère était une femme robuste. Son coup de ceinture n’était pas tendre ni sa pantoufle légère.

Mais quand elle m’a administré ce traitement et que j’ai été bien poli et lustré, ce n’était pas encore fini – elle m’a enfermé dans ma chambre en m’interdisant de pointer mon nez dehors jusqu’à ce que j’apprenne par coeurs les 10 commandements et la leçon de l’école du dimanche.

Il y avait un chapitre entier, plus un chapitre de l’Ancien testament, mais je me suis exécuté parce que je connaissais ma mère, et que le déjeuner n’était que dans 2 heures.

Aujourd’hui encore je saurais réciter ce chapitre, en long et en large, sans manquer un seul mot ni m’arrêter pour reprendre mon souffle.

De temps à autre le vieux Doc. Hoover passait à l’école du dimanche et semait la panique parmi les élèves en se promenant de classe en classe et en posant des questions.

Le dimanche suivant, j’étais pour la première fois heureux de le voir venir, et je n’ai pas essayé d’échapper à son attention quand il est passé dans notre classe.

Diminuer la fierté

Pendant 10 minutes je me suis mis en avant pour qu’il me remarque et demande de lui réciter un paragraphe de la leçon, et, quand il l’a fait, je me suis lâché et j’ai récité le chapitre entier puis j’y ai ajouté les 10 commandements pour faire bonne mesure. Doc a été tout abasourdi, parce qu’il m’avait déjà interrogé à plusieurs reprises sur l’Ancien Testament, et nous n’avions jamais dépassé, “Et Ahab engendra Jahab” et ainsi de suite.

Mais quand il s’est remis du choc il m’a demandé de me lever et de me placer face aux élèves et de répéter ce que j’avais déjà récité. Il m’a tapoté la tête et dit que j’étais “un honneur pour mes parents et un exemple pour mes camarades”.

Je regardais tout le temps le bout de mes souliers et j’étais extrêmement fier et effrayé à la fois, mais sur ces paroles je n’ai pu m’empêcher de lever les yeux et de jeter un coup d’oeil pour voir l’admiration dans le regard des mes camarades.

Mais la première personne que mon regard a croisée était ta grand-mère, qui se tenait tout au fond de la salle, où elle s’était arrêtée un instant en allant à l’église, et elle me fixait d’un regard fort déplaisant.

“Raconte-leur, John,” dit-elle haut et fort, devant tout le monde. Il n’y avait pas moyen de m’échapper, car le Révérend tenait ma main, et il n’y avait aucun endroit pour me cacher, alors que j’aurais préféré disparaître sous terre. Aussi, pour gagner du temps, je fis celui qui ne comprenait pas :

“Leur raconter quoi, maman ?”

“Dis-leur comment ça se fait que tu aies si bien appris ta leçon ?”

C’est alors, en ce lieu et à ce moment, que je me suis mis à détester la notoriété, mais je savais qu’il n’y avait pas moyen de la faire changer de sujet et de lui faire parler du beau temps quand elle voulait parler religion.

J’ai donc fermé mes yeux et laissé venir les mots, bien que sur leur chemin de sortie ils se soient accrochés une ou 2 fois à mon palais.

“J’ai volé une pastèque, maman.”

Je n’ai pas eu besoin de rentrer dans les détails avec ce type de public qui m’a tout simplement hué. Maman me conduisit jusqu’à notre banc, me promettant qu’elle s’occuperait de moi dès lundi pour l’avoir déshonoré ainsi en public – et elle tint sa promesse.

Elle m’a administré une punition mémorable, mais ça a fait sortir de mon organisme plus de vanité que je n’ai pu récupérer les 20 prochaines années. J’ai appris là, une fois pour toutes, à être humble, ce qui est infiniment plus important qu’apprendre à être fier. Il y a très peu d’hommes qui ont besoin de leçons dans ce dernier cas.

Bien affectueusement, ton père,

GRAHAM DE JOHN.

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