Créé à la fin des années 70 par quelques anciens hippies californiens qui ne voulaient pas s’avouer vaincus, l’appellation «New-Age», ou Nouvel Age, veut attirer l’attention du public – ce dont on ne saurait la blâmer – sur la mutation tout à fait exceptionnelle qui touche la société et peut-être même l’espèce humaine à notre époque.
Corroborant leurs espérances, les astrologues nous apprennent que notre planète est en train d’entrer dans l’ère précessionnelle du Verseau, un signe impliquant l’accession à une conscience plus spirituelle et à un sens de la communauté accru, qui est pourtant très loin d’une réalité astronomique. Eh oui, quand on a envie que ses espoirs deviennent réalité…
Mis à part l’angélisme impliqué dans cette croyance dans les bons augures de l’horoscope mondial, le problème c’est que le New-Age est un mouvement particulièrement flou, mêlant traditionalisme et modernité, orientalisme et technologie, chasse à l’Alpha et contes de fées, physique quantique et spiritisme, sorcellerie et pensée systémique, mandalas électroniques et parapsychologie, etc., etc.
Il y a de tout, dans ce New-Age, le meilleur comme le pire. Mais on chercherait en vain la plus petite trace d’idéologie directrice. Aucune définition précise du mouvement, de ses buts réels ou de ses moyens ne permet à quiconque d’affirmer qu’il y appartient, ni de décider s’il faut ou non y inclure le transpersonnel, l’holisme ou… le chamanisme.
On est toutefois en droit de penser que ce mouvement a largement contribué à l’expansion du développement personnel tel que nous le connaissons actuellement avec ses objectifs plus ou moins spiritualistes se superposant au fonds psychothérapeutique.
Mais c’est lui aussi qui, par la même occasion, aura généré le plus de confusion entre pré-personnel, personnel, transpersonnel et spirituel.
Il faut dire que la plupart des thérapeutes et praticiens New-Age ne sont ni des spiritualistes ni des scientifiques, et qu’ils n’éprouvent aucun remord à évoluer dans l’approximation.
Il existe malgré tout quelques savants New-Age. Malheureusement, leur rigueur scientifique s’engouffre généralement dans le trou noir de leur ignorance en matière de spiritualité, et ils se rendent responsables des pires confusions, et notamment de la fameuse «confusion pré/trans» que Ken Wilber leur aura reproché de si nombreuses fois et à si juste titre.
Il est indéniable que les adeptes du New-Age sont las de l’athéisme, du matérialisme et du rationalisme, et qu’ils souhaitent renouer avec ce qu’ils appellent la spiritualité. Mais, comme tous les débutants, ils commettent deux erreurs typiques : faire exactement ce qu’il ne faut surtout pas faire, et… se croire déjà arrivé.
Car c’est pratiquement une constante, dans ce mouvement, que d’estimer être les pionniers d’une nouvelle ère et, à ce titre, prétendre dépasser de loin les balbutiements des anciens ; entendez par là des Jésus, Bouddha et autres Lao Tseu.
Shakti Ga¬wain, grande prêtresse californienne de la visualisation créatrice a dit un jour – je la cite – que «le chemin de l’évolution passe par l’intégration du monde physique, l’unification des différents niveaux de notre être et la transformation du monde. Les maîtres et les saints ont peut-être réalisé le spirituel», ajouta-t-elle avec une candeur désarmante, «mais pas encore l’intégration. En fait, nous sommes les premiers, dans l’histoire de l’humanité, à faire cela».
Il y a toujours, chez ceux dont la personnalité a pu trouver dans une discipline quelconque un moyen d’épanouissement, une très forte tendance à espérer que la bulle de leur conscience personnelle va pouvoir continuer à croître jusqu’à intégrer le monde. Cette croyance est d’ailleurs tout à fait compréhensible puisque le monde et la société, ont été construits par l’ego… à l’image de l’ego.
Pourtant, dans l’optique spirituelle tout développement personnel devrait conduire à ce moment où s’impose la dissolution de l’ego dans le Soi universel.
A ce stade, deux options se présentent. La première, la spiritualité, passe par la prise de conscience de l’insuffisance structurelle du mental égocentré vis-à-vis de la compréhension des réalités métaphysiques. L’ego, alors désillusionné jusqu’au plus profond de ses fondations, lâche prise et cède la place à la conscience transpersonnelle, à la Totalité.
La seconde option, celle du New-Age ou de toute autre forme de «religiosité mondaine», passe au contraire par un refus de l’ego de se dissoudre.
Ce diable d’ego va dans ce cas poursuivre son expansion jusqu’à la dimension du monde social qui lui est consubstantiel et qu’il confondra complaisamment avec la Totalité.
Rassuré par le nouveau pouvoir qu’il croit avoir acquis en intégrant le monde, il renverra à plus tard cet effrayant aboutissement de tout chemin spirituel que les Bouddhistes appellent «extinction» (nirvana) et les Chrétiens «crucifixion».
Ces mêmes Chrétiens avaient d’ailleurs parfaitement modélisé tout ce processus. Dans l’évangile de Luc 4-6, l’ego (Satan) s’oppose à la conscience évoluant vers le transpersonnel (Jésus) dès qu’elle cesse d’approvisionner l’illusion de la personnalité (le jeûne dans le désert).
L’ego offre alors à une telle conscience le pouvoir d’intégrer le monde, en des termes bibliques comme d’habitude hauts en couleur : «Si tu te prosternes devant moi, je te donnerai toute autorité sur les royaumes du monde, et leur gloire». Comme on le voit, rien de bien nouveau dans ce New-Age !